Dans Bref Historique, on aborde de manière « succincte » mais non pas moins simplifiée un pan de l’histoire de l’aéronautique mondiale.

Dans cet article, nous découvrons le lien qui existe entre des ingénieurs nazis, le renouveau de la propulsion aéronautique en France, la dissuasion nucléaire et un programme franco-britannique connu de tous…


Tout commence en 1945. La Seconde Guerre mondiale s’achève, les Alliés marchent sur les restes de l’Allemagne Nazie et le monde retrouve une stabilité certaine… Cette guerre passée fut le théâtre de nombreuses évolutions majeures dans le monde de l’aéronautique. Une et pas des moindres : l’avènement du turboréacteur (cf. vidéo MÉCANIQUE DE VOL #1 – Les moteurs d’avions ou la fabuleuse histoire du vecteur T). Ce principe de propulsion novateur fut découvert indépendamment en Allemagne et en Grande-Bretagne.

Brochure de l’avion de Coandă présenté au Salon de l’Aéronautique de 1910

(Une petite parenthèse s’impose… L’histoire du turboréacteur est plus tumultueuse qu’on le pense. Le principe fut découvert bien avant, en 1910 par un Roumain, Henri Coandă. Celui-ci créa la même année un aéroplane équipé de ce même turboréacteur qui fut exposé au Salon de l’Aéronautique. Ce projet est alors tombé aux oubliettes, ainsi les Allemands et Whittle, n’ont vraisemblablement pas eu vent des travaux de Coandă. Fermons la parenthèse…)

I- L’avènement du turboréacteur français

Heinkel He 162, intercepteur et chasseur à réaction (© Aéro Seven)

Un ingénieur motoriste allemand, Hans Von Ohain, (re)découvre le principe de la propulsion à réaction. Il fut vite remarqué par un avionneur compatriote, Ernst Heinkel. Dans un temps assez court, il développe sa turbomachine et la fait voler sur un avion expérimental de conception Heinkel : le He 178. Le principe est validé et le régime nazi décide alors de continuer les recherches. Après de nombreuses améliorations, deux principales turbomachines sont conçues : les Jumo 004 et BMW 003. Ces deux turbomachines équipent les premiers chasseurs à réaction que sont respectivement le Messerschmitt Me 262 et le Heinkel He 162. Ces appareils figuraient parmi les « armes merveilleuses » d’Adolf Hitler (Wunderwaffen) qui devaient selon lui, renverser le cours de la Guerre.

Du côté britannique, Frank Whittle n’eut pas cette chance. Déjà avant la Seconde Guerre mondiale, il travailla longtemps et seul sur son turboréacteur sans connaître les travaux des Allemands. Quand celui-ci demanda au commandement de l’armée de l’air britannique (RAF) un soutien financier, celle-ci refusa, constatant alors que les avions à hélice font bien leur besogne. Mais le travail de Whittle paiera… Mais trop tard… 

Revenons à la fin de la Guerre… Les Allemands sont défaits et les Alliés font main basse sur leurs « cerveaux ». Tous les plus grands ingénieurs du Reich, ainsi que leurs employés sont débauchés par les différentes nations qui se partagent alors le territoire allemand. Certains, comme Wernher Von Braun qui était à l’origine des missiles V2, se rendront aux américains. Et d’autres, comme Hermann Oestrich, seront approchés par les services attachés à l’État-Major français. Oestrich était l’ingénieur responsable du développement du turboréacteur BMW 003. Une aubaine pour les français dont l’industrie aéronautique n’avait pas passé le stade de développement opérationnel de cette technologie à cause de l’Occupation allemande. Ainsi, à la fin de la Guerre, Oestrich et sa centaine d’ingénieurs acceptèrent de coopérer avec les français pour les doter de ce qui deviendra la famille des turboréacteurs ATAR. Travaillant d’abord à Rickenbach, commune allemande proche du lac de Constance passée sous contrôle français, qui abritait une usine de l’avionneur allemand Dornier, ils furent déplacés en France dès 1946.

Turboréacteur SNECMA ATAR 101 E2 (© Aéro Seven)

Les ingénieurs du groupe de Rickenbach et leurs familles furent installés dans un village à l’abri des regards indiscrets de la population française, à Decize dans la Nièvre. Ici, ils eurent pour mission de développer un turboréacteur améliorant les principes utilisés sur le BMW 003. Cette équipe était sous l’égide du motoriste français SNECMA (ou Société nationale d’études et de construction de moteurs d’aviation) qui deviendra plus tard SAFRAN Aircraft Enignes, filiale du groupe SAFRAN. Le laboratoire ainsi constitué prit le nom d’ATAR ou Atelier de Techniques Aéronautiques de Rickenbach. La première famille de moteur développée fut l’ATAR 101 et équipa la plupart des avions a réaction français comme le Mirage III A ou le Griffon II.

L’ATAR 101 est une évolution significative de son petit frère allemand, le BMW 003. En effet, les moteurs allemands furent fabriqués lors de la guerre, à une époque où les matériaux étaient rares. Les motoristes allemands devaient se contenter du strict nécessaire et utilisaient des matériaux qui ne résistaient pas longtemps à la chaleur ardente qui règne dans la chambre de combustion du turboréacteur. À cause de cela, les moteurs BMW comme les Junkers Jumo devaient être remplacés assez régulièrement pour cause de fonte de parties métallique et de fatigue des matériaux. A titre de comparaison, un turboréacteur actuel d’avion de chasse est inspecté totalement tous les 4 000 cycles ; un Jumo 004 sur Me 262 était remplacé toutes les 10 heures, 24 pour les pilotes les plus habiles avec la manette des gaz. L’ATAR est conçu avec des matériaux résistants aux efforts thermiques et peut donc tenir bien plus que les piètres dix heures d’un turboréacteur Jumo 004.

La France vient ainsi de se doter d’une famille de turboréacteurs puissant. Maintenant, il ne manque plus qu’à l’utiliser…

II- Début de la Guerre Froide et l’ère de la dissuasion nucléaire

Missile S3, aussi appelé SSBS pour Sol-Sol Balistique Stratégique (© Aéro Seven)

En 1947, éclate la Guerre Froide. Celle-ci oppose les blocs de l’Ouest et de l’Est. Chacun des blocs menace l’autre d’user de la force de frappe nucléaire en cas de bavures. Dans cette ambiance tendue, des alliances se font. Les pays capitalistes comme la France rejoignent les Etats-Unis sous leur « parapluie nucléaire » : c’est-à-dire que ces pays sont sous la protection de l’arsenal atomique américain. De même pour les pays communistes qui rejoignent l’arsenal soviétique. La France, menée par le général Charles de Gaulle veut être souveraine et ne plus dépendre des Etats-Unis et des stocks de l’OTAN. Ainsi, sur ordre du président de Gaulle, la France se dote de l’arme nucléaire et jette les bases de sa force de dissuasion nucléaire. 

De Gaulle lance dès 1945 le programme nucléaire militaire français. La bombe atomique nécessite un vecteur et le premier imaginé est l’avion. Il sera rejoint plus tard par les sous-marins nucléaires lanceurs d’engins ou SNLE et les missiles du plateau d’Albion (installation aujourd’hui démantelée). Que ce soient les missiles SSBS-S3 du plateau d’Albion ou les missiles emportés par les SNLE, ils ont été conçus à partir du programme des fusées Pierres Précieuses, programme qui a bénéficié du savoir-faire allemand en matière de fuséologie.

Cependant, l’avion en tant que vecteur représente un enjeu de taille : aucun appareil de conception française n’a été mis au point pour cette mission.

III- Le Dassault Mirage IV A et les FAS

La France dispose déjà de beaucoup de chasseurs de types différents. Ceux-ci sont équipés des nouveaux turboréacteurs ATAR 101. Mais voilà, la famille ATAR 101 n’est pas assez puissante pour répondre à la demande de l’Etat. Avant de parler des exigences de l’Etat français, on va voir comment est conçu un avion français…

ADM-BA Super-Mirage 4000, extension isométrique du Mirage 2000 (© Aéro Seven)

En France, il existe pour un avionneur deux moyens pour développer un nouvel appareil. Un avion peut être développé sur fonds propres, à l’instar du Super Mirage 4000 de AMD-BA (Avions Marcel Dassault – Bréguet Aviation) : celui-ci ne répondent pas à une demande formulée de manière explicite, mais le constructeur estime que cet avion pourra répondre à une future demande et décide alors de lancer la conception. Dans ce cas précis, cet avion ne respecte aucun cahier des charges imposé par un acteur tiers. Second cas de figure, il y a les commandes d’État. Dans ce cas, c’est l’État Français qui pose un cahier des charges précis et les constructeurs doivent faire leurs propositions de projet. Le projet remportant l’appel d’offre se verra alors financé totalement par l’État et verra son cahier de commandes grossir sous l’impulsion de l’Armée de l’air. Cela fut le cas des avions assurant la force de dissuasion nucléaire…

Les avions de chasse français équipés de l’ATAR 101 ne sont pas assez puissants et n’ont pas un rayon d’action assez grand pour pouvoir exercer dans la Triade. L’État lance donc un projet avec un cahier des charges strict :

  • bombardier lourd biplace (supérieur à 10 t)
  • classe Mach 2
  • capable de tenir ce Mach de vol pendant 30 minutes
  • capable de convoyer la Bombe potentiellement jusqu’en URSS.

La France dispose déjà au sein de l’armée de l’Air d’un avion de classe Mach 2 : c’est le Mirage III. C’est un monoréacteur, mono ou biplace, équipé d’un ATAR 101. Mais il ne répond pas aux deux autres critères. Son rayon d’action est trop faible pour atteindre l’URSS, n’est pas ravitaillable sur les versions biplaces, et il ne peut tenir Mach 2 que dix minutes. Dans les années 1955, aucun avion n’est capable de tenir Mach 2 aussi longtemps.

Le Mirage IV A-02 est un des prototypes préfigurant le chasseur lourd destiné aux futures FAS (© Aéro Seven)

Les ingénieurs de la Générale Aéronautique Marcel Dassault (GAMD) planchent alors sur le Mirage IV A, un avion biréacteur. Il remportera l’appel d’offre de l’État en 1956 face à la SNCASO et son SO-4060 « Super Vautour ». Le prototype, Mirage IV A-01 sort des usines Dassault et fait ses premiers vols en 1959. Il est équipé d’une des évolutions de la famille ATAR 101 : l’ATAR 9K équipé de post-combustion (nous retrouvons bien ici le lien entre le Mirage IV A et les Allemands…). L’avion étant un bombardier lourd, il peut transporter beaucoup de kérosène et peut aussi embarquer, sur points d’emport sous les ailes, deux réservoirs supersoniques largables, capables d’étendre son rayon d’action jusqu’en URSS. Le Mirage IV A fait son entrée dans l’armée de l’Air en 1964 et entraîne la création des Forces Aériennes Stratégiques (FAS) qui auront la charge de la bombe atomique et de la dissuasion nucléaire avec le vecteur aéronautique.

Vue rapprochée sur le cockpit. On peut voir à gauche le petit hublot supérieur du NOSA (© Aéro Seven)

Le Mirage IV A est un avion biplace. Le pilote du bombardier est en place avant et dispose d’une verrière lui conférant un champ de vision d’environ 180°. En revanche, le navigant officier système d’arme (NOSA) n’a aucune vue de l’extérieur. En effet, pour une meilleure pénétration dans l’air, l’avion est aménagé de telle sorte que le NOSA se trouve derrière le pilote, à la même hauteur que celui-ci. Le rôle du NOSA se cantonne à la surveillance des système vitaux de l’avion, du radar, et le largage de la bombe atomique est sous sa responsabilité. Bien que la vision extérieure du navigateur soit optionnelle dans l’exercice de sa fonction, les missions du Mirage IV A pouvant être très longues, deux hublots furent néanmoins installés au-dessus de la tête du NOSA afin qu’il puisse voir la lumière et ne pas devenir totalement fou…

Ensemble de 6 fusées JATO sous l’aile droite du Mirage IV A (© Aéro Seven)

Le Mirage IV A, bombardier lourd, avait besoin d’une grande distance pour décoller. Cet avion pouvait ainsi embarquer des fusées JATO (Jet Assisted Take-Off) pour écourter sa distance de décollage. Ces fusées fonctionnent sous le principe d’une réaction d’oxydoréduction dans laquelle intervient du peroxyde d’hydrogène. Elles étaient au nombre de douze sur le Mirage IV A, avaient une durée de fonctionnement limitée et n’étaient pas réutilisables. Elles conféraient à l’avion un gain de poussée considérable et servaient autant lors des phases de décollage à pleine charge et/ou de décollage courts. Les JATO étaient placées sous le fuselage de l’avion et étaient larguées après utilisation.

Sur cette vidéo, on voit bien l’allumage des JATO du Mirage IV A et leur effet sur la vitesse de l’avion. Celui-ci, avec un tel gain de poussée, décolle presque comme un ADAV !

La distance de décollage, en plus d’être le fait du poids, est due aussi aux caractéristiques de l’aile du Mirage IV A. En effet, pour atteindre des vitesses bi-soniques, l’avion dispose d’ailes delta. Ces ailes impliquent que pour décoller, l’avion a besoin de plus de vitesse qu’un avion conventionnel (environ 300 km/h contre environ 200-250 km/h normalement). L’avion doit ainsi prendre plus d’élan, d’où la longue distance de décollage, problème réglé par les fusées JATO. L’aile delta est très bonne pour le supersonique, mais en subsonique, elle est très peu portante. Pour pouvoir tout de même décoller, l’avion doit avoir une assiette très cabrée. L’angle d’incidence est alors d’environ 12°, deux fois et demi plus élevé que sur un appareil subsonique à aile en flèche. Le Mirage IV A doit donc être « haut sur pattes » pour éviter de toucher le sol lors d’un fort angle d’incidence (type d’incident nommé « tailstrike«  pour « toucher de queue »), d’où la hauteur de son train secondaire : environ 4 mètres.

Une bombe AN-22, dont la forme de l’enveloppe est similaire à l’AN-11, placée en position ventrale sur Mirage IV A (© Aéro Seven)

La pièce maîtresse du Mirage IV A est bien entendu sa bombe atomique AN-11, puis AN-22 sa version évoluée (entrée en service : 1967). La bombe AN-11, d’une puissance de 60 kilotonnes, soit une explosion quatre fois et demie plus puissante que celle d’Hiroshima, était placée en position ventrale. Une seule et unique bombe AN-11 fut utilisée en conditions réelles mais c’était pour un essai nucléaire, non une attaque contre un ennemi. L’avion qui l’a portée est le Mirage IV A n°9 immatriculé F-TFAH (d’où le AH peint sur la carlingue de l’appareil), affecté à l’escadron de bombardement (EB) 1/91 « Gascogne » basé à la base aérienne de Mont-de Marsan. L’avion partit de la base française située dans les Landes en 1966 pour rejoindre l’Atoll de Moruroa, théâtre de nombreux essais nucléaires français. Pour couvrir cette distance, l’avion dut rejoindre divers avions ravitailleurs KC-135F au dessus de l’Atlantique, pour ne pas tomber en panne sèche. Parvenu sur zone, le Mirage IV A largua sa bombe AN-11. L’opération fut un succès total. De par son histoire exceptionnelle, cet appareil unique est aujourd’hui conservé au Musée de l’Air et de l’Espace du Bourget. Un Ami de l’AAMA portant comme pseudonyme Pyperpote parle très bien de cet appareil sur son site personnel (voir sources ou cliquez ici).

Un tel braquage des élevons de manière prolongée à Mach 2 générerait traînée non négligeable (© Aéro Seven)

Comme dit plus haut, le Mirage IV A se paye le luxe de voler à Mach 2. Mais que cela veut-il dire en réalité ? Le nombre de Mach est un nombre sans unité exprimant le rapport entre la vitesse d’un mobile par rapport à celle du son dans l’air. Ainsi, un aéronef tel que le Mirage IV A qui vole à Mach 2,2 à une altitude de 13 225 m, a une vitesse d’environ 2 340 km/h. Lors du passage du mur du son, passage d’une vitesse inférieure à celle du son à Mach 1, l’avion subit de nombreux phénomènes aérodynamiques. Il génère tout d’abord un bang sonique dû au fait que l’appareil dépasse ses propres ondes sonores. Et, autre effet très important : le déplacement du centre de portance de l’appareil. Sur un avion bien conçu et bien équilibré, le centre de portance se confond avec son centre de gravité. Or lors du passage du mur du son, le centre de portance de l’appareil se déplace vers l’arrière. Cela entraîne alors l’avion en piqué. Vous allez me dire qu’il est possible de compenser ce couple piqueur si le pilote tire sur le manche à balai ; et vous n’auriez pas vraiment tort de penser ainsi… Mais la réalité est beaucoup moins tendre. Imaginez le pauvre pilote devant tirer sur le manche de manière continue pendant une mission de longue durée… De plus, les efforts sur les élevons seraient si forts que sans doute, ils auraient cédés à Mach 2 lors d’un braquage prolongé. Ce braquage prolongé entraînerait une traînée supplémentaire qui viendrait s’opposer à la traction de l’avion. Cela se ressentirait alors significativement sur la consommation en carburant. Or, celui-ci doit être utilisé de manière parcimonieuse pour des vols longue durée.

Pour pallier ce problème, les ingénieurs imaginèrent un système étonnant. Comme dit plus haut, lors du passage du mur du son, le centre de portance se déplace vers l’arrière et n’est plus confondu avec le centre de gravité de l’appareil. La solution réside dans le déplacement du centre de gravité. Pour ce faire, il faut déplacer vers l’arrière une masse assez importante : du carburant. Ainsi, grâce à un ingénieux système de pompes et de réservoirs de transferts, on peut réaliser des transferts de carburant vers l’arrière puis vers l’avant lors du passage du domaine supersonique (supérieur à Mach 1) au domaine subsonique (inférieur à Mach 1).

Dassault Rafale B, pouvant assurer une mission de dissuasion nucléaire (© Aéro Seven)

Le Mirage IV A fut retiré FAS après 24 ans de bons et loyaux services et fut replacé par le Mirage 2000N, un avion nouveau et plus simple d’utilisation. Variante du Mirage 2000D, c’est un avion biplace et monoréacteur. Ce changement témoigne que les missions des FAS ont évolués. En effet, le Mirage IV A est retiré dans les années 1980 : la Guerre Froide est finie, il n’y a plus d’ennemi tout désigné. La France garde pourtant le 2000N en alerte en cas de nouveaux conflits et pour montrer surtout sa capacité de feu nucléaire, principe même de la dissuasion qui est de faire peur à un agresseur potentiel. Les IV A ne sont pas tous retirés du service et certains d’entre eux sont recyclés en une version IV P, pour « Pénétration. » Ces avions deviennent des avions de reconnaissance et de pénétration basse altitude, un pod CT-52 remplace la bombe AN-22. Ce pod est un fût profilé contenant une batterie d’appareils photographiques et de caméras OMERA de différents calibres. Pour terminer sur les FAS, celles-ci ont fait, il y a peu, leurs adieux aux Mirages 2000N et continuent leurs missions avec l’avion de chasse omnirôle Rafale de chez Dassault Aviation.

Cette vidéo a été tournée en 2018 à l’occasion du retrait du Mirage 2000N des Forces Aériennes Stratégiques

IV-Transport civil et vol supersonique

1er vol Bell X-1 (© NACA/NASA)

Charles « Chuck » Yeager franchit le mur du son pour la première fois en 1947 à bord de son tape-à-l’œil Bell X-1. Tape-à-l’œil, car l’avion est orange… Après cela, rien n’est plus pareil. La course au supersonique est lancée ! Les puissances aéronautiques que sont les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et la France se lancent à l’assaut de ce nouveau domaine de vol avec des applications militaires nombreuses à l’image du Mirage IV A que l’on a vu précédemment. Mais les avionneurs et les Etats voient plus grand… Le supersonique a ses avantages et en premier lieu la vitesse. En effet, un avion volant à deux fois la vitesse du son peut faire des vols deux fois plus courts : le monde pourrait se rétrécir avec des avions civils supersoniques. Face à ce constat, deux puissances aéronautiques commencent à étudier sérieusement le projet…

Vue d’artiste du projet Super-Caravelle (© Sud-Aviation)

La France avec l’entreprise Sud-Aviation lança dès les années 1950 la Super-Caravelle, pour « Caravelle Supersonique ». Ce projet ne doit pas être confondu avec la Caravelle 10B, surnommée « Super-Caravelle, qui est l’évolution d’un avion de transport civil subsonique dont le développement initial date des années 1950. La Super-Caravelle, avion supersonique civil, quadriréacteur à aile delta, devait transporter 100 passagers sur une distance d’environ 3 000 km, faisant de cet avion un moyen-courrier. La Grande-Bretagne rêvait aussi de supersonique et mit au point de manière simultanée le BAC 223, conçu par la société British Aircraft Corporation (BAC). Cet avion était aussi un quadriréacteur comme l’avion français, mais pouvait transporter une centaine de passagers avec un rayon d’action beaucoup plus grand.

V- Lancement du programme Concorde et essais en vol

Voyant que leurs projets sont semblables, français et britanniques décident alors d’unir leurs forces, car les études pour un tel projet novateur ont un coût élevé et les deux pays ont tout intérêt à s’unir pour partager les coûts. C’est ainsi qu’en 1962, à l’issue de nombreuses négociations, est signé le traité qui lance la conception et la production en série de Concorde. Les deux pays partagent les tâches entre leurs deux usines de production : Filton pour BAC et Toulouse-Blagnac pour Sud-Aviation. La Grande-Bretagne fabrique les pointes avant et arrières et la France fabrique le tronçon central et les ailes.

Le Super-Guppy, élément indispensable dans la logistique trans-Manche (© Ailes Anciennes de Toulouse)

Mais Français comme Britanniques, ayant un ego national indéniable, chaque pays souhaitait construire un prototype… La volonté d’économiser se transforme alors en une flambée des coûts, en cause des intérêts politiques… Ainsi, deux prototypes furent construits, mais leur assemblage se fait sur deux chaînes d’assemblage différentes et distantes. Une logistique à toute épreuve est alors mise en place. Les parties britanniques partent de Filton pour rejoindre Toulouse en avion. Et inversement pour les parties françaises, en sachant que certaines d’entre-elles sont fabriquées à Saint Nazaire et sont acheminées à Toulouse par la route. Cette logistique est aussi bien assurée par des avions français que britanniques et préfigure de l’organisation d’Airbus. Tout ce battage est à l’envergure du projet Concorde, un avion à la pointe de la technologie où tout était à inventer, à une époque où les ingénieurs travaillaient encore avec de règles à calcul et concevaient à l’aide des planches à dessin, tables de traçage et des maquettes en soufflerie.

1- Les prototypes et leurs avancées technologiques
Le Concorde 001, premier prototype actuellement exposé au Musée de l’Air et de l’Espace (© Aéro Seven)

Le premier prototype de Concorde est achevé en décembre 1967 et effectue son premier vol en 1969 avec aux commandes le légendaire pilote d’essais André Turcat. 1969 est une année charnière dans l’histoire de l’aéronautique. Cette année-là s’envolent pour la première fois Concorde et le Boeing 747 premier du nom, le géant des cieux, et la mission spatiale habitée Apollo 11 foule pour la première fois le sol lunaire.

Tuyère des moteurs 3 et 4 du Concorde 001, on peut remarquer que celle-ci est fixe et contient les injecteurs de post-combustion (© Aéro Seven)

La première nouveauté sur le Concorde est sa motorisation, issue d’une coopération franco-britannique. Au début des années 1960 est conçu chez Bristol-Siddley (motoriste britannique) un turboréacteur nouveau qui équipe alors le bombardier TSR-2. Cet avion fut un échec commercial total, mais son moteur est bien utile… Ce moteur est le Bristol Olympus Mk.320 à post-combustion. Ce moteur avait un avantage significatif sur les autres de sa catégorie, car il possédait un système de post-combustion (« reheat » ou « réchauffe » en français). Celui-ci permet d’enflammer une seconde fois le flux d’air chaud sortant du turboréacteur pour conférer un gain de poussée. Mais l’Olympus n’était pas suffisant pour faire traverser l’Atlantique au Concorde. C’est face à ce constat que Bristol-Siddley, qui deviendra par la suite Rolls-Royce, sollicita la SNECMA, Société Nationale d’Étude et de Construction de Moteurs d’Aviation. Celle-ci sera en charge d’apporter des modifications à l’Olympus en lui donnant un système de post-combustion par injecteurs annulaires : ainsi naquit le surpuissant Rolls-Royce/SNECMA Olympus 593 Mk.610 qui profita du savoir-faire britannique et des avancées significatives acquises par le groupe de Rickenbach sur les familles des turboréacteurs ATAR . L’atout de ce turboréacteur novateur est bien évidemment son système de post-combustion. Vous voulez des chiffres concrets ? La réchauffe sur Concorde apportait un gain de poussée tel qu’elle faisait office d’un cinquième moteur pour la puissance, mais sans la masse de celui-ci, en sachant qu’un Olympus 593 pèse environ 3 tonnes sec… Au décollage, lorsque l’avion avait ses moteurs à poussée maximale (on parle des « quatre vertes », car lorsque la puissance est maximale, quatre ampoules vertes s’allument dans le cockpit), cela représentait 360 000 chevaux-vapeur. A titre de comparaison, la voiture la plus puissante au monde délivre à peine 1 000 chevaux.

Solution trouvée sur Concorde : les rampes. Ici en position transsonique à gauche et supersonique profond à droite (© Aéro Seven)

Sauf qu’il reste un problème de taille… Concorde devait voler à deux fois la vitesse du son et les turboréacteurs sont victimes, peu après le passage du mur du son, d’un phénomène aérodynamique appelé pompage aérodynamique : le moteur « tousse de l’air ». Ce phénomène est dû au fait que l’air arrivant à vitesse supersonique est trop rapide pour le moteur et les ailettes constituant les disques de compresseur décrochent (au sens aérodynamique du terme). Ce phénomène est le même à basse vitesse lorsque la vitesse du flux n’est pas assez forte. Pour pallier ce problème, les ingénieurs ont inventé un système de rampes. Lors des phases de basses vitesses, les rampes sont totalement rabattues sur le haut du carter moteur (carénage contenant les turboréacteurs, aussi appelé nacelle), laissant une large veine pour le passage de l’air. Des béquets situés sous le carter moteur s’ouvrent aussi pour que l’admission d’air soit maximale. Lorsque le décollage est passé, ainsi que les basses vitesses qui l’accompagnent, les béquets se referment. Lors du régime transsonique, c’est-à-dire lorsque la vitesse de l’avion avoisine Mach 1, les rampes forment un angle étudié pour que la veine d’air soit un peu restreinte. Lorsque le mur du son est franchi et pendant la phase de Mach 1 à Mach 2, les rampes forment un angle très prononcé de manière à restreindre fortement le flux d’air, dans le but de convertir une partie de l’énergie cinétique du flux d’air en énergie dissipée sous forme d’ondes incidentes. Ce système de rampes est totalement automatique et géré par un ordinateur embarqué. Les angles étaient au préalable calculés à la main par les ingénieurs de Sud-Aviation et les essais en vol relevaient les problèmes éventuels. Entre chaque sortie de l’avion d’essai 001, il fallait éplucher des milliers de lignes de données venant de capteurs différents et faire des modifications sur le programme de gestion des rampes. Mais il ne suffisait pas de changer des lignes de codes dans un système d’exploitation pour faire des modifications comme à l’heure actuelle… Il fallait sortir les cartes de circuit imprimées de leurs racks et les modifier unes par unes en changeant de place les lampes à vides et autres puces sur les cartes pour (espérer) obtenir le résultat attendu… Un travail colossal à la mesure du projet lui-même.

Concorde disposait d’un réservoir d’équilibrage en queue pour le centrage (© Wikipédia)

Autre nouveauté sur un avion civil : le transfert de carburant. Comme vu plus haut, ce système a été mis au point pour le Mirage IV A afin de pallier les troubles aérodynamiques qu’engendrent le passage du mur du son, dans ce cas, le déplacement vers l’arrière du centre de portance. Concorde disposait dans sa queue d’un réservoir spécialement conçu pour recevoir le carburant lors des phases de transfert et de centrage. Ces transferts avaient lieu en transsonique : le carburant situé dans les réservoirs les plus en avant dans la voilure était directement transféré dans le réservoir de queue ou dans les réservoirs à l’arrière de la voilure qui se sont déjà bien vidés en cours de vol. Lors du retour en vol subsonique, l’excédent de carburant est transféré vers l’avant pour éviter que l’avion ne se cabre fortement au retour du centre de portance au-dessus du centre de gravité normal de l’avion (sans procédure de centrage). Toutes ces procédures n’étaient pas automatisées, contrairement aux rampes des turboréacteurs. Elles étaient sous la charge du troisième pilote de Concorde : l’officier mécanicien naviguant (OMN) qui avait aussi sous sa charge les systèmes hydrauliques de l’avion, la gestion des moteurs et autres paramètres vitaux de l’avion. Il passait le plus clair de son temps les yeux rivés sur ses jauges auxquelles il devait accorder une attention de tous les instants. C’était sans aucun doute celui qui ne pouvait prendre aucune pause en vol tant il était indispensable…

Nez du Concorde 001 avec sa visière relevée. Remarquez le peu de visibilité qu’offre celle-ci avec seulement deux petits hublots sur la face avant (© Aéro Seven)

Comme on l’a vu plus haut, les avions à aile delta ont besoin de décoller avec un angle d’incidence très élevé. Ainsi, le Concorde, à l’image de ses confrères avions de chasse, disposait d’un imposant train d’atterrissage qui culminait à onze mètres du sol. Le supersonique franco-britannique dispose d’un nez très long, profilé pour une meilleure pénétration dans l’air. Mais ce nez a un fort inconvénient du fait de sa longueur, lors des phases de décollage et d’atterrissage, les pilotes ne voient rien devant eux à part le ciel. Or pour décoller ou atterrir, il est utile de voir la piste étant donné que les aéroports à travers le monde ne sont pas tous équipés de systèmes d’ILS (Instrument Landing System ou Système d’Atterrissage aux Instruments en français). Ce sont les ingénieurs britanniques de la BAC qui ont trouvé la solution au problème : le nez basculant, développé par la société Marshall Aerospace.

Nez à géométrie variable dans sa version finale, sur les Concorde de série (auteur inconnu)

Ce nez, d’abord issu du développement sur un avion de chasse britannique appelé Fairey Delta II, pouvait adopter 4 positions. La première est la position de base, en vol supersonique pour adopter le meilleur profil aérodynamique à l’écoulement optimal de l’air, et éviter ainsi une traînée fatale à la consommation de carburant. Ensuite, le pilote pouvait juste abaisser la visière, mais sans gain significatif de visibilité. Pour mieux voir, il enclenche le système hydraulique qui pour baisser le nez à 5°. Cela permet aux pilotes de voir ce qui se passe au sol lors des phases de roulage et de décollage. Pour l’atterrissage, le pilote a besoin d’une visibilité maximale. Il commande alors le nez pour qu’il se baisse à 12,5° : sa visibilité devient maximale pour l’approche finale et l’atterrissage.

Concorde lors d’un de ses vols d’essais (© Musée de l’Air et de l’Espace)

Pour pouvoir effectuer des vols commerciaux au sein de compagnies aériennes et ainsi pouvoir être vendu, un avion doit être certifié « bon de vol » et « sain » par les autorités de sûreté européennes (EASA) et américaines (FAA). Après cette certification marquée par des phases d’essais en vol et d’essais au sol, l’avion se voit remettre son certificat de navigabilité de type ou CDN (remis pas la DGAC) s’il s’agit d’un avion français. Concorde fut l’avion le plus long a certifier de toute l’histoire de l’aviation. Sa campagne d’essais s’est étalée de 1969 à 1976, soit presque 10 ans ! La durée moyenne de certification d’un avion se situe actuellement entre deux et cinq ans. Cela fut différent pour Concorde car sur cet avion, tout était nouveau. Jamais un avion transportant des passagers n’a volé à Mach 2 et subi des efforts thermiques de l’ordre de 127 °C (à la pointe avant). Jamais un avion civil n’avait de systèmes de nez basculant, rampes d’admissions moteurs ou systèmes avancés de transferts de carburant pour le centrage. Tout cela devait être vérifié, et dans toutes les conditions climatiques et de vol. Ainsi, les pilotes d’essais ont emmené le 001 et le 002 dans des contrées désertiques ou par des froids polaires. Enfin, le domaine de vol supersonique, exotique pour un appareil civil, a dû être défriché et l’appareil a dû être testé pour toute sortie de domaine. 

Gradient thermique sur Concorde (© Sud-Aviation / BAC)

Concorde subissait des efforts thermiques dus à sa vitesse de croisière. Avez-vous déjà frotté vos mains l’une contre l’autre ? Avez-vous remarqué que plus vous les frottiez vite, plus vous ressentiez de chaleur ? C’est exactement la même chose sur la carlingue de Concorde. L’air arrivant sur le fuselage à Mach 2 frotte sur celui-ci, provoquant un fort échauffement pouvant aller jusqu’à 127 °C à la pointe avant. Cet échauffement cinétique rendait impossible l’utilisation de métaux et alliages usuels en avionnerie, pour la fabrication de Concorde. Les alliages aluminium classiques auraient été trop ramollis par l’échauffement dû aux vitesses supersoniques. La cellule de Concorde fut ainsi fabriqué en AU2GN, alliage d’aluminium et de magnésium, pour résister à ces températures. Mais Concorde se dilatait tout même du fait de la chaleur : 20 centimètres en moyenne de gagnés en vol. La cabine passagers futt alors montée sur roulettes pour éviter qu’un écart ne se creuse entre les sièges et que la tapisserie soit ne ravagée par des déchirures intervenant lors de la dilatation de l’avion. Une anecdote assez cocasse à ce sujet : lors d’un des vols de la campagne de certification de l’appareil, le pilote chargé de certifier l’avion étant assis à la place de l’OMN, vit un espace vide entre la planche de bord OMN et les racks radio et électronique. Il y cala son dossier à cette place sans connaître la spécificité de Concorde. Une fois l’avion posé et parqué, le pilote tente désespérément, de toutes ses forces, de retirer le dossier de la fente qui s’est refermée du fait de la rétractation du métal… Les mécaniciens durent démonter des panneaux composant les racks radio pour récupérer le dossier !

2-Une autre utilisation du prototype français…
Après cette observation historique, le 001 reçut un badge commémoratif (© Aéro Seven)

Le Concorde 001 n’était pas seulement le petit joujou des pilotes d’essais de Sud-Aviation tels que André Turcat, Jacques Guignard ou Michel Rétif. L’avion servit aussi pour une opération plutôt insolite. En 1973 eut lieu une éclipse totale de Soleil au-dessus de l’Afrique Centrale, événement rare que les astronomes observent avec attention, car ceux-ci permettent de mieux connaître la composition et les phénomènes magnétiques de l’étoile la plus proche de notre planète. Lorsqu’une éclipse passe au-dessus d’un observatoire astronomique fixe, l’observation ne peut excéder 20 minutes du fait du déplacement du Soleil et de la Lune dans le ciel. Mais à cette époque, Concorde 001 effectue ses essais en vol et cet avion vole aussi vite que la course de l’ombre de la Lune sur la Terre… Les scientifiques du CNRS (Centre National de la Recherche Scientifique) et de l’Observatoire de Paris mettent alors au point des instruments spéciaux à embarquer sur Concorde pour observer l’éclipse. Le 001 est réquisitionné et pas moins de cinq trous sont percés dans le toit du fuselage pour faire passer les périscopes. L’impact scientifique de cette observation est gigantesque : les astronomes ont réussi à acquérir autant de données sur le Soleil qu’il en a été accumulé depuis les débuts de l’astronomie ! Cela est dû au temps d’observation record : 74 minutes, soit plus de 10 fois le temps d’observation au sol par un observatoire conventionnel.

La Caravelle III du GLAM, avion présidentiel avant le Concorde (© Pyperpote)

Concorde 001 était surtout la vitrine du savoir-faire français et contribua de son temps au rayonnement international de la France, en plein contexte de Guerre Froide. C’est par ce constat que les hommes politiques français voyageront avec cet avion hors-normes pour épater les dirigeants d’autres nations ou tout simplement le public. Valéry Giscard d’Estaing, ministre des Finances à cette époque et futur président de la République, fut le premier homme politique français à voler sur Concorde. Ensuite, le président Pompidou vola à bord de cet avion pour témoigner, lors d’une allocution radio en direct sur France Inter à la vitesse de Mach 2, son plein soutien au projet. En mai 1971, Pompidou rencontre son homologue Richard Nixon aux Açores. Le président français choisit d’y aller avec Concorde 001 pour faire la promotion aux Etats-Unis de l’avion supersonique franco-britannique, dans un contexte d’abandon du programme américain SST. Une anecdote assez cocasse à ce sujet… Pompidou devait emmener son ministre de l’Économie, Valéry Giscard d’Estaing, au sommet des Açores. Il l’invita cordialement à voyager en Caravelle tandis que lui voyagerait à bord de Concorde, le vaisseau-amiral de la France. Giscard fut obligé d’accepter. Son avion, la Caravelle du GLAM (Groupe des Liaisons Aériennes Ministérielles, ancienne composante de l’armée de l’Air devenue ensuite l’ET 60) partit avant le Concorde 001 et arriva avant le supersonique. Imaginez la situation : un avion subsonique qui arrive avant un avion supersonique… La honte !

Concorde 001 aux Açores, où l’échelle était trop courte (auteur inconnu)

La Caravelle du GLAM fut ainsi contrainte de rester en circuit d’attente (en hippodrome) au-dessus de l’aéroport en attendant le posé du Concorde ! Autre événement drolatique, la sortie du président du même Concorde. Comme dit plus haut, le Concorde est un avion assez haut sur pattes. Les services de l’aéroport des Açores disposaient d’échelles de débarquement, mais pas assez grandes pour atteindre la porte de l’avion située à 5 mètres du sol… Il y avait ainsi deux mètres d’écart entre le pas de la porte et le haut de l’échelle. Les pilotes, la suite présidentielle et Pompidou durent alors descendre de l’avion en empruntant une échelle escamotable de chantier, avant de descendre par la passerelle de débarquement. Cette arrivée burlesque, je la hisse au rang de la descente d’avion la moins classe du monde !

3- Le perfectionnement des prototypes : la pré-série
L’appareil de pré-série français Sierra Alpha, côté British Airways (© Aéro Seven)

Les ingénieurs d’Aérospatiale (entreprise créée par fusion des avionneurs Nord et Sud-Aviation) et de British Aircraft Corporation étaient conscients que les prototypes 001 et 002 ne correspondraient pas aux avions de série. À la fin de leurs carrières d’essais, ces deux avions rejoignirent respectivement le Musée de l’Air et de l’Espace du Bourget et le Fleet Air Arm Museum. Ainsi, afin de valider les nouvelles modifications qui seront apportées sur les Concorde de série, deux nouveaux appareils seront alors construits, un britannique et un français. Ces appareils sont alors des appareils de pré-série et seront utilisés pour de nouvelles campagnes d’essais à travers le monde pour tester les divers climats auxquels les avions de série pourraient faire face (froid polaire, chaleur désertique, haute altitude et altitude nulle). Un d’eux servira aussi de vitrine pour les compagnies aériennes dans les salons aéronautiques et sera peint aux couleurs de British Airways (compagnie britannique ayant pris commande du Concorde) d’un côté et d’Air France de l’autre (compagnie française ayant aussi pris commande du Concorde).

Nouvelle verrière que l’on peut observer sur le F-WTSA exposé au Musée Delta d’Orly (© Aéro Seven)

La première modification effectuée sur les avions de pré-série est la verrière du nez. En effet, celle des prototypes Concorde 001 et 002 n’offraient que très peu de visibilité, insuffisante pour un appareil à certifier pour des vols commerciaux. Cette modification apportée sur le premier appareil de pré-série britannique, désigné Concorde 01 (G-AXDN), est alors adoptée sur le second appareil de pré-série français, désigné Concorde 02 (F-WTSA), ainsi que sur tous les avions de série. Cette nouvelle verrière a impliqué le changement du mécanisme du nez basculant et sa cinématique, qui sont différents à quelques détails près de la version utilisée sur les prototypes. En outre, cette nouvelle visière offre une meilleure aérodynamique à l’avion.

On peut voir sur cette vidéo le nez du Concorde, version de série (appareil Air France), en action.

Sur cette photo, la première tuyère est en position croisière et l’autre en reverse (© Aéro Seven)

Le Concorde de pré-série français Sierra Alpha (F-WTSA) est le premier à adopter une modification significative et pratique des tuyères des turboréacteurs. Celles-ci ne disposent plus de volets à géométrie variable des premières versions de l’Olympus avionnés sur Concorde 001, 002 et 01 (premier avion de pré-série, britannique). Elles sont désormais  composées de deux paupières, à l’image de celles de nos yeux, qui peuvent prendre des angles de fermeture différents afin de réguler le flux d’air sortant. De la sorte, elles peuvent aussi bien accélérer le flux que l’entraver totalement. Premièrement, les paupières peuvent entraver de manière limitée le flux pour que celui-ci soit plus rapide ; à condition que le flux d’air sortant soit à vitesse subsonique. Par effet Venturi, l’air passant dans un conduit plus étroit (convergent de Venturi) voit sa vitesse augmenter. Si le flux sortant du turboréacteur est à vitesse supersonique, les paupières s’ouvrent totalement. Pour obtenir le même effet que précédemment, la tuyère doit non plus être convergente, mais divergente. Ainsi, le changement géométrie de la tuyère confère une augmentation de la poussée lors des phases de décollages avec post-combustion et pour passer du domaine transsonique au supersonique. Deuxièmement, les paupières peuvent entièrement entraver le flux. Leurs formes font que le flux est redirigé vers l’avant en passant sur l’extrados et sous l’intrados de l’aile : c’est ce que l’on appelle la « reverse » ou inversion de poussée. Celle-ci permet de réduire la distance d’arrêt de Concorde à l’atterrissage et d’atténuer les efforts subis par les freins de l’avion lors du freinage sur piste.

VI- Exploitation commerciale de 1973 à 2000

Enveloppe postale ayant voyagé sur le 1er New York-Londres opéré par British Airways (© Aéro Seven)

Après presque 10 ans d’essais en vol et de certification, Concorde peut enfin effectuer ses premiers vols commerciaux. Ainsi en 1976, deux Concorde décollent simultanément de Roissy Charles de Gaulle, en France et de Londres Heathrow, en Grande-Bretagne. Ces appareils servaient respectivement sous les couleurs d’Air France et British Airways, les deux seules compagnies ayant pris livraison de l’appareil. Le monde entier applaudit à cette prouesse. Les deux appareils ont pour destination Bahreïn pour British Airways, et Rio de Janeiro en passant par Dakar pour Air France ; et les rallient en un temps record. Voler deux fois plus vite que le son raccourcit significativement les distances. Après ce vol, des liaisons régulières auront lieu vers ces destinations et Air France ouvrira même une ligne Paris-Caracas. Concorde était apprécié des voyageurs pour son confort inégalé, et surtout pour la réduction par deux du temps de parcours. Mais l’oiseau supersonique devra affronter une levée de boucliers de la part d’une destination pour laquelle il était originellement conçu…

Sur cette vidéo d’archives de l’INA, vous pouvez voir les Concordes d’Air France et British Airways décollant en même temps depuis leurs aéroports respectifs lors du premier vol commercial du supersonique franco-britannique.

1- Les concurrents de Concorde
Tupolev Tu-144LL, appareil ayant servi de laboratoire volant pour la NASA après la Guerre Froide (© NASA)

Concorde a été développé dans le contexte de la Guerre Froide. Ainsi, le bloc communiste mené par l’URSS (Union Soviétique) décida de rivaliser technologiquement avec le Concorde, avion développé par deux puissances capitalistes. Afin d’y parvenir, l’Union Soviétique mobilise les ingénieurs de l’OKB-156, qui deviendra par la suite l’avionneur russe Tupolev. Ce bureau d’études national était sous la direction du célèbre ingénieur soviétique Andreï Tupolev, avant que celui-ci ne passe le flambeau à son fils Alexeï. L’OKB-156 deviendra par la suite l’avionneur Tupolev.

L’URSS était à cette époque très en avance sur les technologies ayant trait à la propulsion, qu’elle soit aéronautique ou spatiale. Ils avaient cependant un retard suffisamment conséquent pour qu’ils aient peur d’être rattrapé par les européens. Ils misèrent ainsi en partie sur l’espionnage afin de sortir rapidement ce qui deviendra plus tard le Tupolev Tu-144.

On peut citer deux affaires d’espionnage différentes, menées par le KGB, un des puissants services d’espionnage de l’URSS. La première affaire remonte à 1965, et le grand public la retiendra sous le nom d’Affaire Pavlov. Dans les années 1960, Sergeï Pavlov était le représentant à Paris de la compagnie aérienne nationale soviétique Aeroflot. Sa position et sa proximité avec certains bureaux d’études de Sud-Aviation et ses sous-traitants lui permirent de dérober des documents. Le 16 février 1965, il tenta de quitter la France depuis l’aéroport du Bourget, les valises pleines de plans concernant notamment le système de freinage de Concorde et son atterrisseur. Ce système était envié par les Soviétiques du fait de sa conception novatrice : 11 disques de carbone par roue rentrant en friction contrôlée par un ordinateur, l’ancêtre de l’ABS et les freins haute température. Fort heureusement, Pavlov fut arrêté avant son envol. Cependant, il était déjà trop tard : le réseau à peine démantelé par la DST (services de renseignement du Ministère de l’Intérieur) était implanté depuis longtemps et on ignore encore combien de documents ont été transférés vers l’OKB-156… Seconde affaire : la visite de diplomates soviétiques dans les chaînes d’assemblage de Sud-Aviation à Toulouse. La délégation est notamment constituée de Alexeï Kossyguine, président du Conseil Soviétique du moment. L’attention du cortège diplomatique est alors toute tournée vers l’usine Saint Martin du Touch et la ligne d’assemblage finale du prototype Concorde 001. Tous les diplomates étaient équipés pour voler des informations sur le projet afin de créer aussi un avion supersonique. Entre autres gadgets, ceux-ci portaient des chaussures qui attrapaient des copeaux métalliques entre les machines-outils afin de les analyser et de déterminer la nature de l’alliage utilisé. Ces informations en poche, le KGB pouvait les transmettre au bureau d’études de Tupolev.

Cependant, bien que la ressemblance entre Concorde et le Tu-144 soit frappante, au point que les médias français surnomment l’appareil soviétique « Concordski », celle-ci n’est pas totalement due à l’espionnage industriel. Il serait réducteur de déclarer que le Tupolev 144 est la parfaite copie de Concorde. Les lois de la physique étant homogènes dans l’ensemble de l’univers observable, les lois régissant les écoulements en supersonique restent les mêmes de part et d’autre du rideau de fer. Ainsi, des ressemblances structurelles entre l’appareil franco-britannique et son concurrent à l’étoile rouge sont normales et pas forcément dues au travail acharné du KGB. Afin de s’en convaincre, il suffit de se pencher sur les caractéristiques techniques du Tupolev Tu-144. Celui-ci est plus rapide, possède une motorisation bien différente et plus archaïque, avait une plus grande capacité en passagers (120 contre 100 pour Concorde) et surtout il disposait de plans canards rétractables permettant d’apporter (théoriquement) une meilleure stabilité et maniabilité à l’appareil à basses vitesses.

Le Tu-144 vola avant Concorde, fin décembre 1968, ce qui fit de lui le premier avion supersonique de transport de passagers de l’histoire. Mais le Tu-144 fut un échec total et n’effectua que 55 vols commerciaux pendant un an au sein de la compagnie soviétique Aeroflot, seule compagnie exploitante de l’appareil. L’appareil supersonique était trop cher à l’exploitation et se révéla très dangereux aux basses vitesses, avec pour preuve le crash d’un Tupolev Tu-144 en début de représentation lors du Salon du Bourget de 1973. Le Tu-144 continua cependant à voler pour des liaisons postales entre Moscou et Alma-Ata ou Khabarovsk, pour 47 vols seulement. Il fut même interdit de dépasser Mach 1 à partir de 1980, lorsqu’un des appareils commença une campagne d’essais et d’expérimentations sur la couche d’ozone.

Ci-dessus une vidéo très intéressante d’un vidéaste anglophone, Mustard, sur le Tupolev Tu-144 (sous-titres français disponibles)

Première maquette du Boeing 2707, avec son aile à géométrie variable (© Boeing)

Pendant ce temps, les États-Unis se sont aussi lancés dans la course au supersonique, comptant bien prouver leur suprématie sur le monde de l’aviation et montrer aux français et aux britanniques que Concorde n’est pas viable économiquement. À l’issue d’un appel d’offre auquel ont répondu les firmes Lockheed, Boeing, Convair et General Dynamics, c’est Boeing qui remporta le marché avec son projet Boeing 2707 jugé le plus ambitieux. Il surpassait en tout point le Concorde, il pouvait transporter 3 fois plus de passagers que lui, sur une distance plus grande, il possédait des turboréacteurs encore plus puissants que les Olympus 593 (mais pas encore développés…) et avait une architecture novatrice à cause de sa vitesse. Il était entièrement en titane pour affronter des efforts thermiques dus à des vitesses de l’ordre de Mach 2,7. Il possédait une aile à géométrie variable afin d’être plus efficace dans les bas domaines du subsonique. Ainsi, pour des vitesses en dessous de 700 km/h, l’aile avait une géométrie à flèche quasi-nulle. Ensuite, plus l’appareil évoluait vers le domaine transsonique et supersonique, plus l’angle de flèche évoluait pour faire tendre la forme de l’aile vers celle d’une aile delta.

Maquette de la deuxième itération du projet SST, avec une aile delta (© Boeing)

Le projet devenait de plus en plus ambitieux et le budget de conception flambait. Le Boeing 2707 représentait pour l’époque une trop forte rupture technologique, rupture souvent représentée par la problématique de l’aile à géométrie variable. Cette aile était d’une telle taille que les actuateurs électriques ou hydrauliques de l’époque auraient été trop lourds pour un tel appareil. Pour des raisons de rentabilité, l’aile à géométrie variable fut abandonnée et l’appareil reprit une aile delta. Le projet SST (Super Sonic Transport) fut abandonné en 1971, le Congrès américain pressentant les coûts prohibitifs, tant pour le développement que pour l’exploitation, et que l’avion supersonique ne serait pas un modèle économiquement viable. De fait, le SST y engloutit autant de budget que tout le programme Concorde réuni, alors que le SST n’a donné que deux maquettes en bois à l’échelle 1. Le Concorde fut construit, lui, à 20 exemplaires, prototypes inclus. Généralisant ce principe, ils présument les français et les britanniques incapables de mener à terme le programme Concorde. L’appareil entra cependant en service commercial, produit à 16 exemplaires de série. Les compagnies étaient satisfaites de l’appareil, bien que ses coûts d’exploitation fussent élevés – satisfaites comme les passagers réguliers. Voyant leur échec face aux européens, les États-Unis organisèrent ainsi leur vengeance…

3- L’arrivée tumultueuse de Concorde à New-York et service commercial retentissant
Le Concorde 02, analogue au Sierra-Bravo de série non mis en service commercial (© Aéro Seven)

Quelle vengeance ? Interdire Concorde de se poser aux États-Unis. C’est un coup dur pour le programme franco-britannique. Concorde était spécialement conçu pour la route transatlantique, son rayon d’action coïncidait avec la distance Paris-New York. Toutefois, un mois plus tard, l’avion supersonique fut autorisé à rallier de manière régulière l’aéroport de Washington-Dulles. Mais l’autorité du port de New-York ne cède pas et invoque des raisons environnementales et de bruit principalement. Une légende se propageait dans la population selon laquelle le bang sonique occasionné par Concorde ferait s’effondrer les tours de Manhattan. Or, Concorde ne volait pas en supersonique au-dessus de New-York, étant donné qu’il devait y atterrir… Autre intox pour empêcher l’atterrissage de Concorde à New-York : l’avion est si lourd qu’il ferait s’effondrer les pistes de l’aéroport Kennedy, construites sur pilotis… Celles-là mêmes qui résistent aux atterrissages de Boeing 747, qui est trois fois plus lourd. Enfin, est invoqué le bruit que génèrent les quatre Olympus du Concorde qui risqueraient de troubler l’équilibre des espèces animales vivant à proximité de l’aéroport. Pour répondre à cela, Aérospatiale envoie le Concorde 201, immatriculé F-WTSB, à l’aéroport de New-York pour effectuer des mesures… Non seulement Concorde respecte les quotas de bruit en vigueur, mais le Boeing 707, exploité et loué depuis longtemps aux États-Unis est plus bruyant… Étrange… Après une procédure judiciaire longue appuyée par les mesures faites avec le Concorde Sierra-Bravo (F-WTSB), l’interdiction est levée par la Cour Suprême des États-Unis. Et c’est ainsi que Concorde commença à opérer des liaisons régulières vers New-York au départ de Paris et Londres à partir de novembre 1977.

Cabine arrière du Concorde Sierra Delta, imaginée par Andrée Putman (© Aéro Seven)

Mais ce petit accroc n’entache en rien l’image de Concorde. Cet avion a été conçu comme un avion d’affaires. La cabine, bien qu’étroite, offre des sièges confortables. Imaginé par les plus grands designers de l’époque dont Andrée Putman pour la dernière itération de la cabine Air France, cet espace passagers figure comme un des plus beaux de l’époque avec des tapisseries somptueuses. Hôtesses de l’air et stewards portaient des tenues assortis à la décoration de la cabine et leurs uniformes étaient différents de ceux portés habituellement sur les avions conventionnels des compagnies exploitantes, et furent dessinés par les plus grandes maisons de couture. Concorde était l’appareil amiral de la compagnie à la bannière tricolore.. La traversée de l’Atlantique offerte par Concorde était exceptionnelle… L’avion volait à 59 000 pieds (18 000 mètres d’altitude) à Mach 2,02 (plus de 2 200 km/h) et offrait les services d’un restaurant 5 étoiles. Les repas étaient à base de caviar, homard, truffes et champagne. Certains passagers pouvaient demander à fumer de somptueux cigares cubains (quelle ironie en pleine Guerre Froide…), en lisant le journal de leur choix tout en ayant à portée un verre de spiritueux… La grande classe à la française ! Mais tout cela avait un prix : 40 000 FRF l’aller-retour, soit aujourd’hui plus de 6 000 € (sans compter l’inflation et le pouvoir d’achat). À ce tarif, les passagers étaient bien pris en charge et la compagnie répondait à toutes leurs demandes, même les plus inattendues. Les passagers Concorde se voyaient aussi décerner un diplôme attestant qu’ils avaient passé le mur du son… Tout un symbole.

Publicité Air France de 1977 vantant la transatlantique en 3h30 (© Cap Avenir Concorde)

C’était l’avion des hommes d’affaires transitant entre l’Europe et le Nouveau Continent. Les lignes Paris-New York et Londres-New York furent les seules maintenues par les compagnies exploitant le Concorde, car furent les seules qui avaient un franc succès. En effet, les personnes décollant de Paris à 11h45 sur le vol régulier traversaient l’Atlantique en 3h35 seulement (deux à trois fois plus vite qu’un avion subsonique) et atterrissaient à New-York à 8h15 grâce au jeu des fuseaux horaires : ils arrivaient avant même d’être partis ! Concorde représente dans l’imaginaire collectif une machine à remonter dans le temps… Mais le supersonique n’était pas que l’apanage des hommes d’affaires, mais aussi des célébrités : Michael Jackson, Yves Saint-Laurent, Catherine Deneuve… Ils avaient tous leurs habitudes, bien connues du personnel navigant. Michael Jackson, par exemple, aimait voyager à la dernière place de la cabine en dormant pendant tout le voyage… Voyager à bord du plus bel avion du monde, offrant un point de vue magnifique et unique qui permet d’admirer la rotondité de la Terre, et dormir tout du long…. Un comble !

Enveloppe postale ayant voyagé sur un vol présidentiel transportant François Mitterrand à Tachkent (© Aéro Seven)

Concorde fut aussi l’avion des hommes politiques. La compagnie Air France disposait d’un « kit présidentiel » qui pouvait être monté sur n’importe quel avion bien que le Sierra-Charlie (F-BTSC) était la monture la plus utilisée dans ces cas-là. Le kit présidentiel contenait son bureau et sa suite qui prenait la place des sièges de la cabine avant. Il contenait aussi tout l’ensemble radio de communication avec l’Elysée. Hormis les vols ministériels, les Concorde d’Air France effectuaient des vols spéciaux. Ces vols affrétés par des particuliers ou des familles princières coûtaient la bagatelle de 1 200 000 FRF pour la location de l’appareil, sans compter les personnels navigant techniques (PNT) et commerciaux (PNC) à rémunérer, sans compter la facture de carburant. En comparaison, la même prestation offerte par un Airbus A300 revenait à 900 000 FRF.

Le Sierra-Delta aux couleurs de la marque Pepsi Cola (© Pyperpote)

Parmi les nombreux vols spéciaux opérés par Concorde, deux furent des vols affrétés par un richissime américain amoureux de l’avion. Il finança une campagne de vol record autour de la Terre avec un avion de chez Air France. La compagnie met à sa disposition le Concorde 213 (F-BTSD) car celui-ci est plus léger d’une tonne que les autres : utile pour faire un record de vitesse… Cet appareil se lança tout d’abord dans un record dans le sens Ouest-Est et ce vol a duré moins de 24h en comptant les escales techniques nécessaires ! Les passagers à bord n’ont pas vu le soleil se coucher pendant toute la durée du voyage, du départ à l’arrivée à Lisbonne. Le second vol eut lieu quelques années plus tard et s’est déroulé dans le sens Est-Ouest, où les vents d’Atlantique étaient plus favorables et le vol dura 22h. Le Sierra-Delta, globe trotter à ses heures, reposant aujourd’hui au Musée de l’Air et de l’Espace du Bourget servit pour d’autres missions assez spéciales… Dans les années 1990, la marque de boissons Pepsi Cola décide de changer le design de sa canette et de démarrer la campagne de publicité la plus onéreuse de tous les temps. Élément principal de cette campagne, le Concorde Sierra-Delta,  alors revêtu durant quelque temps des couleurs de la marque. Habillé d’une robe bleu marine tapissée du logo et du nom de la marque, l’appareil parade dans de nombreux aéroports internationaux. Avec un tel habit d’azur, il ne pouvait voler au-dessus de Mach 1,7 à cause de sa couleur qui « attire » plus la chaleur… Concorde eut ainsi une vie opérationnelle mouvementée et ses passagers, aussi spéciaux furent-ils, furent satisfaits… Mais il y eut un mardi noir, et après celui-ci, rien ne fut pareil…

4- L’accident du Sierra-Charlie et ses conséquences

Avant d’évoquer le crash du Concorde Sierra-Charlie (exemplaire 203, immatriculé F-BTSC) le mardi 25 juillet 2000, posons le contexte. Un Allemand ayant travaillé toute sa vie décida pour fêter comme il se doit son départ à la retraite de s’offrir, et d’offrir à sa famille et ses amis une croisière aux États-Unis. Pour embarquer sur cette croisière d’exception, quoi de mieux que de prendre un avion d’exception : Concorde. Son groupe d’invités, constitué de plus d’une centaine de personnes, fut scindé en deux : une petite partie du groupe prit le vol régulier partant tous les jours de Roissy à 11h45 et la plus grande partie du groupe partit sur un vol spécial affrété, partant plus tard. Le vol spécial était prévu aux environs de 14h et fut assuré par le commandant Christian Marty, pilote chevronné sur Concorde et personne courageuse et sportive ayant effectué la traversée de l’Atlantique en planche à voile… Il décida à la dernière minute de reporter le vol à plus tard et ordonna le remplacement d’une pièce non-vitale sur le moteur numéro 2. Les passagers purent ensuite embarquer, aux environs de 16h. L’avion roula vers la piste pour un décollage prévu aux environs de 16h40.

Zone de l’avion où s’est produit l’éclatement de pneu. Remarquez la dangereuse proximité du train d’atterrissage et de l’entrée d’air (© Aéro Seven)

Concorde s’aligne sur la piste 26R à l’aéroport Roissy Charles de Gaulle. Il est 16h45 et le commandant Christian Marty ayant reçu l’autorisation de la tour de contrôle, pousse alors les manettes des gaz et active la post-combustion… Les 420 000 chevaux des quatre Olympus se déchaînent dans leur vrombissement habituel et l’avion s’élance. L’avion passe V1, la vitesse dite « de décision ». À ce moment là, en cas d’avarie, l’avion est obligé de décoller, car il ne reste plus assez de piste pour freiner. Après le passage de la V1, un des pneus du train gauche rencontre une lamelle de titane perdue par un précédent avion ayant utilisé la piste, un DC-10 de la compagnie Continental Airlines. À une vitesse avoisinant les 300 km/h, le pneu entaillé par la lamelle éclate en plusieurs gros morceaux. Certains entaillent des câbles dans le logement du train d’atterrissage gauche et d’autres tapent dans les ailes où sont situés les réservoirs. Le kérosène entre alors en vibration dans le réservoir jusqu’à ce que le métal de l’aile entre en vibration dans sa fréquence fondamentale. À cause de cette contrainte trop forte, l’aile se fissure laissant s’échapper une quantité importante de carburant. Pendant ce temps, les autres morceaux de pneus entrent dans le moteur n°2 et celui-ci connaît alors une importante perte de puissance lors de ce moment vital qu’est le décollage.

« AF4590, vous avez des flammes, vous avez des flammes derrière vous… » (© BEA)

L’accélération et la vent relatif font s’entrechoquer les câbles et des courts-circuits et des étincelles. Le carburant s’écoulant vers le train s’enflamme alors… Concorde est presque à la fin de piste et n’a pas encore ses fameuses quatre vertes qui annoncent la pleine puissance de l’avion pour décoller : en cause la perte de puissance du moteur n°2. Arrivé en fin de piste, le copilote annonce les 4 vertes et l’avion effectue sa rotation. Les flammes se font plus fortes et sont alors visibles du contrôle aérien. Le contrôleur en charge du vol AF4590, Gilles Logelin, se précipita alors sur son micro et annonça « Air France AF4590, vous avez des flammes, vous avez des flammes derrière vous… ». Aussitôt cette annonce faite, les pilotes entendent retentir dans le cockpit l’alarme feu réacteur. L’avion est en perte de vitesse, l’alarme de décrochage retentit alors. Concorde ne peut effectuer de virage à cause des élevons gauches inutilisables, car presque consumés, et n’a d’autre choix que de se diriger vers les pistes du Bourget, toutes proches, pour atterrir en urgence. Les flammes gagnent du terrain et deviennent presque deux fois plus longue que l’avion lui-même. L’aile commence alors à se disloquer. Mais parvenu à Gonesse, au-dessus de l’hôtel « Le Relais Bleu », Concorde décroche et fait un angle à presque 90° avec le sol. Il tombe sur l’hôtel et explose dans une boule de feu de vingt mètres de diamètre. Aucun survivant : 113 victimes dont trois personnes au sol.

Tout cet enchaînement dura moins de 3 minutes, mais suffit alors à sceller le destin du Concorde. Le ministre des Transports Jean-Claude Gayssot décida immédiatement de suspendre le Certificat de Navigabilité (CDN) de Concorde. Personne ni moi-même, ne comprit cette décision en lisant l’histoire de cet aéronef de légende. Et c’est là qu’intervient un accompagnant d’un groupe d’élèves du BIA, que j’accompagnais alors, qui m’expliqua toute l’histoire… Dans l’accord de 1962, il était stipulé que si Concorde était arrêté par un des deux pays, celui-ci devait verser une somme colossale à l’autre en compensation des sommes mises en jeu lors du développement partagé de l’appareil. Gayssot ne voulant pas débourser cette somme pour stopper temporairement l’exploitation de Concorde et trouver la cause de l’accident, il décida de suspendre le CDN pour que les Concordes français ET britanniques soient arrêtés. Après l’enquête du BEA (Bureau d’Enquêtes et d’Analyses pour la sécurité de l’aviation civile), tous les avions supersoniques furent modifiés :

  • Un « liner » recouvre le fond des réservoirs de carburant. Cette peau est composée de kevlar et sert à contenir le carburant en cas de fissure des réservoirs.
  • Les câbles dans le puits du train d’atterrissage sont renforcés.
  • Les pneus conventionnels sont remplacés par des pneus à structure radiale développés par la firme Michelin, plus résistants mais beaucoup plus chers.

Toutes ces modifications, et d’autres, alourdissent les appareils en service et restreignent son rayon d’action. Concorde aurait pu ne plus pouvoir effectuer de liaisons transatlantiques, si du poids n’avait pas été retiré par la suppression de deux rangés de sièges passagers.

Concorde au Musée de l’Air et de l’Espace du Bourget (© Aéro Seven)

En réalité, cela représente en réalité bien plus : deux rangées en moins entraînent une économie de poids de huit passagers, de leurs bagages et des plateaux repas qui leur étaient destinés… Avec ces nouvelles modifications, Concorde put reprendre le service et recouvra son CDN. En 2001, il reprit ses vols commerciaux, mais rien n’était plus pareil. Dans l’imaginaire collectif, le supersonique est devenu dangereux. De plus, les attentats du 11 septembre 2001 ont entraîné une baisse du transport aérien en général. Concorde n’est plus rentable. En cause, le peu de passagers transportés, le coût des maintenances devenus prohibitifs et surtout la volonté des états d’arrêter la casse. Ainsi, en 2003, fut arrêtée de manière pure et simple l’exploitation de Concorde. Ceux-ci rejoignent des musées et sont érigés en monument du progrès aéronautique, à juste titre.

VII- Quel avenir pour le supersonique civil ?

Vue d’artiste de l’ATSF (© BAC/Aérospatiale)

Avant même la fin du Concorde, des projets étaient déjà dans les cartons. On peut citer d’abord le Concorde B qui devait être une version à plus long rayon de Concorde, avec des moteurs plus puissants et efficients. Mais faute de budget, BAC et Sud-Aviation enterrent le projet et se concentrent sur la première et seule version de Concorde. Après la mise en service de Concorde, Sud-Aviation devenue Aérospatiale en absorbant d’autres constructeurs français, envisagea le développement de l’ATSF ou Avion de Transport Supersonique Futur. Cet appareil devait être un avion supersonique long-courrier transportant environ 300 passagers. Les Britanniques avaient eu aussi leur projet : l’AST ou Advanced Supersonic TransportCes deux projets furent, une fois n’est pas coutume, fusionnés sous le projet européen ERSP/PERS pour Programme Européen de Recherche Supersonique. Le PERS devait transporter entre 250 et 300 passagers à une vitesse presque égale à celle de Concorde (Mach 2,05) sur une distance de 11 000 km, bien plus qu’un Paris-New York…

Ici, une vidéo d’archive du journal télévisé diffusé sur France 2, présentant le projet ATSF

Tous ces projets n’ont malheureusement pas abouti… faute de budget et d’envie de remettre en service des avions de transports supersoniques, les études de marché n’étaient pas assez prometteuses et la rupture technologique concernant la consommation des turboréacteurs n’était pas d’actualité…

Vue d’artiste du QueSST, on peut observer la longueur de son nez afin de permettre une variation plus légère de la courbure de l’avion (© NASA)

Aujourd’hui, d’autres projets sont chapeautés par des avionneurs établis, ou par des agences de recherches aérospatiales nationales. Par exemple, Lockheed Martin (division Skunk Works) développe le X-59 QueSST ou Quiet Supersonic Transport, un avion supersonique silencieux s’inscrivant dans un programme de recherche de la NASA. En effet, sa conception aérodynamique évite le bang sonique car la variation de courbure des ailes et du fuselage est faite pour ne pas générer d’onde de choc incidente trop importance. Objectif : un bang de 75 dB ou moins, perçu au sol, pour un appareil volant à presque 17 000 m d’altitude, à une vitesse de Mach 1,42.

Bien que le QueSST en ouvre la voie, il n’est pas destiné à être un appareil de transport civil, seulement un démonstrateur. Cependant, il existe déjà des projets assez avancés d’avions de transport de passagers (business jets ou airliners), tels que le Boom Supersonic Overture ou l’Aerion AS2.

Pour conclure cette succincte histoire de l’aviation supersonique commerciale, on peut se demander si un jour, on pourra revoler aussi vite que le soleil. En tout cas, j’espère pouvoir l’admirer de mes yeux et la génération suivante aussi…

 

Écrit par Dénys KARAKAYA (Professeur Axton Seven)
Dernière mise à jour : 21 mars 2022


Post-Scriptum

Toni et moi posant devant le sujet de cet article… (© Toni Giacoia)

Cet article s’adresse plus particulièrement aux élèves du Brevet d’Initiation à l’Aéronautique (BIA) d’Indre-et-Loire qui ont été visiter le Musée de l’Air et de l’Espace. Un de leurs encadrants est Toni Giacoia, un écrivain (son livre ici), enseignant BIA et ami. Celui-ci m’a demandé de leur faire un petit tour du propriétaire, axé sur la thématique « Mirage IV – Concorde », ce que j’ai accepté avec grand plaisir. Cet article est destiné à les récompenser de leur attention durant mon exposé. Celui-ci reprend totalement la visite que je leur ai faite, avec en plus des images et quelques petites choses que je n’ai pas précisées en détail… pour ceux qui veulent creuser plus loin le sujet. Je pense que ce sujet mériterait au moins une série de vidéos et des articles poussés sur chaque appareil évoqué en conclusion…


Sources

Les sources bibliographiques et webographiques utilisées pour l’écriture de cet article sont les suivantes :

SNECMA ATAR :

Calmon, J. La politique française des moteurs d’avions de combat (de l’ATAR au M88), Pegase, 1994, n°74, p.4-17

Dassault Mirage IV A et IV P :

Comtet, P., Jan, Y. réal. L’Avion de la Bombe [documentaire]. France 3 Aquitaine, 2007. 52 min.

Dassault Aviation. Mirage IV : origines, caractéristiques et performances. [en ligne], (page consultée le 21/03/2022) https://www.dassault-aviation.com/fr/passion/avions/dassault-militaires/mirage-iv/

Dassault Mirage IV. (22 février, 2022). In. Wikipédia, l’encyclopédie libre. [en ligne], (page consultée le 21/03/2022) https://fr.wikipedia.org/wiki/Dassault_Mirage_IV

List’In MAE. Dassault Mirage IV A n°9 F-TFAH. [en ligne], (page consultée le 21/03/2022) http://www.pyperpote.tonsite.biz/listinmae/index.php/les-appareils-exposes/hall-6-hall-concorde/70-dassault-mirage-iv-a-n-9-f-tfah

List’In MAE. Dassault Mirage IVP n°62 Codé CI. [en ligne], (page consultée le 21/03/2022) http://www.pyperpote.tonsite.biz/listinmae/index.php/les-appareils-en-reserve/304-dassault-mirage-ivp-n-62-code-ci 

Musée de l’Air et de l’Espace. Dassault Mirage IV A. [en ligne], (page consultée le 21/03/2022) https://www.museeairespace.fr/aller-plus-haut/collections/dassault-mirage-iv-a

Paringaux, A. réal. Les Guerriers du Ciel : Mirage IV P [documentaire]. 2005, 52 min.

Concorde (histoire et technique) :

Vaillot, B. réal. Concorde, la chute d’un géant [documentaire]. Galaxie production, 2006. 52 min.

Chemel, E. Un Ciel signé Concorde, Seven Sept, 2006

Flemming, P. réal. La Minute de vérité : Le crash du Concorde [documentaire]. National Geographic Channel, 2004. 55 min.

Karambolage (ARTE). (2017). Le Concorde [vidéo]. YouTube. https://www.youtube.com/watch?v=2E7MsJ7Zy3k (consultée le 21/03/2022)

Lhorme, V. réal. Mach 2.20, L’extraordinaire histoire du Concorde [documentaire]. YN Productions, 2016. 52 min.

Massé, X. Avion Concorde, Nouvelles Editions Latines, 2004, Dossiers Aéronautiques

Noetinger, J. Concorde 001 : Son histoire, ses vols, Pegase, 1996, n°80, p.4-37

Pinet, J. Les Hommes de Concorde : Ils ont piloté la légende, Éditions JPO, 2019

Risch, T. réal. Science Grand Format : Concorde, le rêve supersonique [documentaire]. BBC Studios, 2018. 90 min.

Tupolev Tu-144 et espionnage industriel :

Godard, B. (2015). Espionnage industriel : les affaires qui ont fait trembler l’économie. Capital [en ligne], (page consultée le 21/03/2022) https://www.capital.fr/economie-politique/espionnage-industriel-les-affaires-qui-ont-fait-trembler-l-economie-1074640

S. J-F. (1968). Des espions autour de Concorde. Le Monde [en ligne], (page consultée le 21/03/2022) https://www.lemonde.fr/archives/article/1968/03/12/des-espions-autour-de-concorde_2504329_1819218.html